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Ces lobbyistes qui influencent la vie politique française ?

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Ces lobbyistes qui influencent la vie politique française ?

Par Rémi Boura, Docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSL dans The Conversation

Un article intéressant sur le poids des lobbyistes sur la vie politique française mais un papier un peu trop général qui aurait gagné en pertinence en analysant le processus d’élaboration de plusieurs lois très précises pour mieux identifier les vrais influenceurs. NDLR


« Nous comptons sur votre commission pour mettre fin à cette opacité. Un lobbyiste ne devrait pas pouvoir dicter sa loi aux représentants du peuple ». C’est par ces mots que le représentant de la CGT-Taxis a interpellé l’actuelle commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files. À l’initiative du groupe La France Insoumise, les députés cherchent à déterminer l’influence d’Uber auprès des décideurs publics et notamment auprès d’Emmanuel Macron – alors ministre de l’Économie. Celui-ci est soupçonné d’avoir passé un « deal secret » avec le géant du VTC, afin de faciliter sa croissance sur le marché français. Si le Parlement peut creuser cette question, c’est en grande partie grâce aux révélations de Mark MacGann, ex-« lobbyiste » de la plate-forme reconnaissant avoir « vendu [du] mensonge à tout le monde », et aux gouvernements européens particulièrement.

Mais au-delà des fantasmes, qu’est-ce que le lobbying ? Qu’est-ce que ce métier permettant d’influencer les hommes politiques, au point de faire démissionner certains ministres, comme en témoigne l’« épisode Nicolas Hulot » sous la présidence, une nouvelle fois, d’Emmmanuel Macron ?

Le lobbying est un « mot-valise » qui désigne toute action d’origine privée ayant pour intention d’influencer les comportements des acteurs, quels qu’ils soient, à travers des canaux divers. Cette tentative d’influence a pour but de présenter une vision partielle ou subjective des faits sociaux et bénéficier ainsi de rétributions économiques, symboliques, politiques. Le lobbying intervient à toutes les étapes du processus de production des normes – des consultations avec l’exécutif aux délibérations du Conseil constitutionnel, en passant bien entendu par l’examen parlementaire. Il peut s’incarner aussi bien par des spectaculaires campagnes médiatiques que par des rencontres informelles.

Les lobbyistes, eux, sont des professionnels de la « représentation d’intérêts » (« représentant d’intérêts » étant le terme retenu par la loi Sapin 2 encadrant l’activité). Leur profession est de porter la voix de leur(s) employeur(s) ou de leur(s) financeur(s) auprès des acteurs de la production normative, dans le but d’influer sur leur décision.

Ce métier de lobbyiste s’apprend généralement aujourd’hui dans des formations en « affaires publiques ». Durant celles-ci, de nombreux intervenants se succèdent pour enseigner les ficelles du métier. Ceux-ci éclairent les étudiants sur le processus décisionnel français ou européen, les initient à l’écriture d’un amendement, les incitent à se constituer un « réseau », les invitent à scruter les journaux pour anticiper les futures réformes, leur apprennent à effectuer une veille de leur environnement professionnel. Ces connaissances sont présentées comme indispensables pour dialoguer avec l’autorité publique et exiger d’elle une évolution de la norme juridique. Selon ces intervenants, leur travail consiste à influencer la loi, influencer les élus, influencer la « société civile » pour qu’elle-même influence le monde politique.

Mais les lobbyistes, c’est-à-dire les professionnels de la représentation d’intérêts, sont-ils réellement des influenceurs de la loi ?

Plusieurs indices – documentés de manière plus ou moins récente par les sciences humaines et sociales – permettent de nuancer cette idée répandue que des hommes de l’ombre tirent les ficelles.
Tout d’abord, le professionnel de la représentation n’est pas le seul à faire du lobbying au sein de sa structure. Sa direction générale ainsi que ses collègues directeurs spécialistes d’une thématique et titulaires d’une expertise dite technique sur une problématique ou sur un périmètre donné (juridique, énergie, fiscalité, santé, etc.), peuvent occasionnellement exercer cette activité. Les lobbyistes peuvent donc être substitués par leurs collègues ou leur hiérarchie, voire connaître une concurrence de leur mandat de représentant d’intérêts. Il existe dès lors une division du lobbying entre le professionnel de la représentation d’intérêts (pour qui le lobbying est l’activité principale) et ses collègues experts (pour qui le lobbying est une activité secondaire, ponctuelle).

Cette dichotomie suit généralement une autre division : celle de l’élaboration de la loi entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. En effet, par un effet d’homologie (le partage de dispositions et de codes sociaux communs tels que le langage, le parcours scolaire, les lieux de sociabilité par exemple), les lobbyistes dialoguent plus facilement avec le monde politique (collaborateurs d’élus compris), lorsque leurs collègues directeurs spécialisés interagissent plus volontiers avec les (hauts-)fonctionnaires. Ainsi, une partie considérable de l’activité des lobbyistes se concentre sur l’arène parlementaire.

Or, le pouvoir législatif a connu un déclassement institutionnel et symbolique au profit de l’exécutif ainsi que de ses administrations centrales. Le Parlement n’est plus le lieu stratégique pour la fabrique de la norme. Une grande partie de l’écriture d’un texte de loi se fait dans les bureaux des administrations ministérielles, davantage ouverts aux directeurs spécialisés qu’aux professionnels de la représentation d’intérêts.

Durant les réunions organisées par l’administration, le professionnel de la représentation d’intérêts (pour qui le lobbying est l’activité principale) est au mieux accompagnateur de son collègue expert. Par conséquent, il n’est pas rare que le lobbyiste se retrouve exclu d’un moment clef de la conception de la loi.

Son rôle se révèle d’autant plus secondaire qu’un fragment important de la représentation d’intérêts est délégué aux organisations tierces (fédérations professionnelles, chambres de commerce, syndicats, associations, etc.). Celles-ci sont chargées de centraliser les positions de leurs adhérents et demeurent les interlocutrices privilégiées de l’autorité publique.

Enfin, certains chercheurs soulignent que les dynamiques libérales qui ont pénétré l’action publique sont davantage la conséquence d’un long processus historique que le fruit d’un groupe social précis. Ainsi, le plus souvent, l’adoption d’un amendement promouvant les vertus du marché est moins à mettre au crédit de l’action individuelle d’un lobbyiste que de la correspondance entre la mise en retrait volontaire de l’État avec les intérêts capitalistes.

En résumé, les lobbyistes « vendent », ou plutôt promeuvent le libéralisme économique à des décideurs publics déjà plus ou moins convaincus. Ils ne sont ni les créateurs ni les gardiens du (néo-)libéralisme. Les lobbyistes sont seulement des agents au service de secteurs économico-financiers, des émissaires – parmi d’autres – chargés de connecter les intérêts du marché à ceux de l’État. De surcroit, leurs interlocuteurs sont plutôt les parlementaires (et leur équipe), dont le poids est moindre dans le processus décisionnel.

Leur lobbying n’est pas pour autant sans incidence sur la version définitive de la norme. Si l’exécutif a bâti la structure du texte, il revient aux législateurs de régler les formalités et de corriger certains détails pouvant se révéler lucratifs pour un secteur d’activités. Le lobbying des professionnels de la représentation d’intérêts porte ainsi le plus souvent sur des mesures – pouvant sembler – marginales d’une résolution publique plus ambitieuse. Ainsi, une lobbyiste nous a rapporté :

« Je me suis battue une fois à deux heures du matin au Sénat contre les kinés avec un amendement pour permettre aux esthéticiennes de continuer à faire des massages. Alors, ça ne devait plus s’appeler massage, ça s’appelait “modelage”. »

Le changement d’appellation constituait un enjeu économique (et symbolique) majeur pour le secteur de l’esthétique : un article de la loi peut ouvrir (ou fermer) un marché à des acteurs privés. Gageons néanmoins que les députés ne trouveront pas pertinent d’ouvrir une commission d’enquête sur cette influence de l’esthétique dans notre vie démocratique.


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